L’accord de Paris en 2015 a été le premier accord universel sur le climat et le réchauffement climatique. A cette occasion, la France a retenu l’objectif principal de neutralité carbone pour 2050. Cet objectif est très ambitieux, supposant une baisse des émissions de gaz à effet de serre d’un facteur de 6 en 2050 par rapport à celles de 1990. Comment y parvenir ? Stéphane La Branche, Ambassadeur du Fonds MAJ et sociologue, assure qu’il faut mobiliser tous les citoyens, les collectivités, les entreprises pour qu’ils adoptent des comportements plus vertueux. Tout le monde doit s’y mettre !
Comment enrayer ce réchauffement climatique qui semble inexorable ?
Stéphane la Branche > L’agence météorologique des Nations Unies, l’OMM, a effectivement confirmé que la dernière décennie a été la plus chaude jamais observée… Ces dernières années, nous avons en effet observé une multiplication importante des épisodes de sécheresse et une accélération de la montée du niveau des océans. La France a décidé de réagir en lançant la Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC), pour lutter contre le changement climatique, la dernière version ayant fait l’objet d’une consultation publique en début d’année et a été adoptée par décret le 21 avril 2020. Concrètement, la SNCB suppose de réduire les émissions de gaz à effet de serre de la France à 80 millions de tonnes d’équivalents CO2 (VS 445 en 2018), ce qui implique nécessairement, en raison de l’immense effort à fournir, la réduction de l’empreinte de la consommation des citoyens et un changement important des modes de consommation, que nous pouvons accompagner en tant que sociologue.
De quelle manière la sociologie peut-elle permettre de lutter contre le réchauffement climatique ?
S.LB. > On pense généralement que le réchauffement climatique est une question de transformation chimique des gaz et de ressorts économiques. Or il dépend aussi de nos comportements, qu’il faut faire évoluer. Cela pourrait passer efficacement par l’éducation, mais l’effet sera sur le moyen terme et, pour le climat, nous sommes dans l’urgence. Pour une neutralité carbone en 2050, il faut s’y mettre dès à présent. La sociologie permet d’agir plus vite, en analysant les fonctionnements humains. C’est précisément ce que j’étudie.
Quels sont les comportements concernés ?
S.LB. > Prenons un exemple : pour freiner durablement le réchauffement climatique, le GIEC recommande de réduire la consommation de viande. Avant de s’engager dans cette voie, j’ai observé ce qui peut freiner ou motiver un changement de régime pour intégrer moins de produits d’origine animale.
Les freins sont d’abord symboliques : la générosité d’un bon repas quand on invite inclut de la viande. Par ailleurs, les efforts à devenir végétariens sont pénalisés par les interactions sociales en France, ce qui est beaucoup moins vrai dans les pays anglo-saxons où les végétariens représentent 10 % de la population (VS 1 % dans l’hexagone).
Les freins sont aussi structurels, sachant que la production locale de fruits et légumes, bio de surcroît, n’est pas suffisante. Ils sont enfin économiques car ces produits coûtent plus chers. Si le nombre de végétariens peinent à croitre en France, le nombre de flexitariens augmente.
Néanmoins, les motivations de changement de régime ont peu à voir avec le sauvetage de la planète, mais plutôt avec des objectifs de bonne santé et de minceur. Mais il y a une autre raison plus éthique, la défense animale. Les vidéos de l’association L214 ont eu une forte influence qui a motivé les citoyens et… les enseignes de supermarché. Santé, minceur et défense animale : des leviers à actionner pour réduire l’impact de la consommation de viande. Le climat n’est pas, en effet, un argument convaincant pour la grande majorité de la population
Quelles actions engager en zone urbaine, où 75% de la population pourrait vivre en 2050 ?
S.LB. > En ville, le bâtiment est le premier émetteur de gaz à effet de serre. D’où l’intérêt des rénovations énergétiques. Confronté au peu d’engagement des copropriétés dans cette voie, j’ai d’abord pensé que les citoyens se moquaient du réchauffement climatique. Effectivement, quand un syndic propose d’installer une isolation sur un immeuble d’habitation, les discussions cessent rapidement, avant même l’étude du budget. Les outils financiers sont donc insuffisants. Les obstacles ″sociologiques″ du quotidien prennent l’avantage sur l’urgence climatique : les poussières, la présence des ouvriers aux fenêtres ou encore la sieste de bébé perturbée par les travaux ! Face à ces arguments difficilement contournables, la SNBC envisage d’imposer les rénovations énergétiques des bâtiments à certains moments de vie des habitants, par exemple, quand ils deviennent propriétaires, ou qu’ils héritent d’un bien, etc .
Du point de vue du sociologue, comment limiter la voiture en ville ?
S.LB. > La mobilité est en effet l’autre secteur émetteur de gaz à effets de serre en ville. Les études de sociologie sont déjà nombreuses dans ce domaine, montrant que la principale préoccupation des automobilistes est la fluidité de l’itinéraire, incluant la dernière étape, celle de la recherche d’une place de parking et que le changement climatique apparait comme un moteur de changement moins important que la pollution locale. Afin d’inciter les automobilistes à prendre les transports en commun, il suffit donc de réduire le nombre de places de parking, direz-vous ? Oui, mais pas n’importe comment. En tant que sociologue, je préconise de remplacer les places par un bénéfice pour les citadins, par des terrasses de café et de restaurant par exemple, qui en plus renforce l’attractivité du quartier. Le résultat est le même, décourageant les automobilistes de prendre leur voiture en ville, mais l’acceptabilité et les impacts sur la vie de quartier sont meilleurs.
Autre enseignement de la sociologie sur la mobilité urbaine : contrairement à ce que l’on croit, le nombre de voitures diminue régulièrement depuis des années dans les villes, au bénéfice de la marche à pieds, des transports en commun et du vélo. Les agglomérations l’ont compris, créant des nouveaux quartiers où les mobilités douces sont privilégiées et les services aux habitants (boulanger, poste, médecin, transports en commun…) sont présents. La proximité des services est un vrai moteur de réduction d’utilisation de la voiture, à condition de ne pas dépasser quelques centaines de mètres. J’ai constaté que les habitants considèrent qu’il n’y a pas de transport en commun dans le quartier, si l’arrêt de bus est à 400 m du logement !
[ Quésako ] Acceptabilité sociale VS changement de comportement.
L’acceptabilité sociale des enjeux écologiques est l’objet de nombreux travaux en sociologie, notamment depuis le début des années 2000. Sur le principe, le concept désigne un assentiment de la population pour une politique ou un projet, dans le cadre d’un dialogue entre les citoyens et les décideurs. Pour le sociologue, l’acceptation sociale est plus complexe car, en effet, si la population accepte aisément l’idée selon laquelle le changement climatique constitue une menace, ce n’est pas pour autant qu’elle va changer ses comportements, c’est-à-dire manger 2 fois moins de viande, marcher à pieds ou éviter les voyages en avion. C’est une notion que les acteurs de la transition doivent prendre en compte, avant de préconiser ou de mettre en œuvre des solutions dans le sens de la transition environnementale .
Moins de pollution pendant le confinement, convention citoyenne, vague verte aux dernières élections… la cause climatique aurait-elle amorcé un tournant ?
S.LB. > Les situations sont différentes. L’effet de la crise sanitaire sur la mobilité piétonne devrait être temporaire. Mais il pourrait être durable sur l’essor du télétravail, dont la pratique a convaincu employés et employeurs, même s’ils ont été contraints et forcés de l’accepter.
L’élection de maires écologistes dans des grandes agglomérations, en revanche, démontre la volonté des citoyens d’avoir moins de pollution en ville et un meilleur environnement. Dans certains cas, les résultats risquent de ne pas être à la hauteur des espérances. De plus, il pourrait y avoir un effet pervers, inattendu : plus il y a d’élus verts, moins les citoyens risquent de faire des efforts pour l’environnement et des écogestes, justement parce que les habitants attendent beaucoup des politiques. Or, si les politiques ont un rôle à jouer, comme les entreprises, la population doit aussi s’impliquer.
Par ailleurs, certains des maires écologistes ont conquis des grandes agglomérations sans historique politique et sans expérience du métier d’élu vert. Les services de la ville peuvent aussi manquer de préparation ou de compétences en interne vis-à-vis des questions environnementales. Les relations entre l’élu et les équipes risquent d’être un peu compliquées au début. Pour d’autres villes, comme Grenoble ou Paris, ce sera plus simple, car il existe déjà une structure très compétente à la mairie et une longue histoire de travail collectif sur ces enjeux. Enfin, la Convention citoyenne pour le climat est une initiative démocratique particulièrement intéressante. A un bémol près : en tant que processus, elle n’est pas reproductible pour les 67 millions de Français. Afin de mener à bien leur mission pour accélérer la lutte contre le changement climatique, les 150 participants ont été formés, sensibilisés au fait que l’on peut faire mieux tout en minimisant son impact environnemental, ce qui n’est pas possible à l’échelle du pays. Il reste encore du chemin à parcourir avant d’impliquer tous les citoyens sur la cause climatique, dans le cadre d’une gouvernance partagée. Car tout le monde doit s’impliquer. C’est impératif.
[ L’expert ] Stéphane la Branche : « Dune est sans doute le meilleur traité d’écologie politique. »
Stéphane La Branche se qualifie comme un climatologue de la société. Coordinateur scientifique du GIECO/IPBC, il est chercheur indépendant associé à Pacte et Science Po Grenoble, contributeur aux 5e et 6e rapports du GIEC/IPCC, expert invité sur le projet de Loi sur la Transition Energétique et sur la Phase 2 de la stratégie nationale d’adaptation de la France. Il s’intéresse dans ce cadre aux freins et aux moteurs des changements de comportementaux et sociétaux liés au changement climatique. Stéphane La Branche est par ailleurs passionné de science-fiction, en particulier la série Dune, qui est pour lui le meilleur traité d’écologie politique jamais écrit. L’auteur, Franck Herbert, n’a-t-il pas écrit : « We must learn to speak climate » ?
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