Rééquilibrer les territoires, favoriser l’économie de partage, rapprocher les services des citoyens, favoriser la mixité, créer des nouvelles activités en zone rurale… Avec ses 1 600 habitants, la petite commune de Châteauneuf dans la Loire a investi et s’est engagée dans une expérimentation sans précédent. Témoignage de Bernard Laget, Ambassadeur du Fonds MAJ, maire de Châteauneuf, Président du SIEL-Territoire d’énergie et Vice-Président de Saint-Etienne Métropole.
Comment imaginez-vous la ville de demain ?
Bernard Laget > Contrairement aux idées reçues et aux conjonctures actuelles qui prévoient un monde où 80 % des populations logeraient et travailleraient en zone urbaine en 2050, j’imagine plutôt que la densité dans les villes va diminuer, que les citoyens vont reconquérir l’espace rural et que des activités et des services seront créés dans les territoires en régions. J’en suis intimement convaincu et déjà de nombreux exemples autour de moi me prouve que c’est possible.
De quelle manière le rééquilibrage des territoires se fera-t-il ?
B.L. > Nous disposons de deux leviers puissants pour le développement de l’espace rural : le développement des connexions numériques à très haut débit, et la production décentralisée d’électricité à partir d’énergies renouvelables (EnR). C’est précisément notre perception et notre manière de concevoir l’avenir dans la Loire. Sur le premier point, dès 2013, le SIEL-Territoire d’énergie a profité de l’adoption du Plan France Très Haut Débit (THD), en parallèle du lancement d’un Appel à Manifestation d’Intérêt d’Investissement (AMII), sur lequel le groupe Orange s’était positionné sur 49 communes, majoritairement urbaines, de la Loire. Nous nous sommes mobilisés pour apporter la fibre optique à tous les foyers et entreprises sur les 274 autres communes du département. Nous avons démarré la couverture du territoire ligérien en 2015, nous sommes fiers d’annoncer aujourd’hui que l’ensemble de nos bâtiments sont raccordables au très haut débit (THD) dès avril 2020 : 169 zones couvertes, 274 communes, 192 000 points de branchement optique (BPO) pour les habitants. Nous sommes le tout premier département français à être équipé à 100 % de la fibre. Nous avons 5 à 10 ans d’avance sur d’autres régions de l’hexagone, ouvrant des horizons à des citadins décidés à rejoindre une zone rurale. Certains l’ont déjà fait. Pour vous donner un exemple, un jeune couple de Parisiens a décidé de s’installer dans le village situé dans les monts du Forez (42), saisissant l’opportunité du très haut débit pour implanter leur société. Tout se déroule à merveille et le couple développe rapidement son activité. Jusqu’au moment où les jeunes gens agrandissent leur famille. Avec l’arrivée d’un enfant, se pose la question de l’accès à la crèche. Mais les jeunes gens, comme souvent les jeunes Parisiens, ne possèdent pas le permis de conduire ! Et l’impossibilité d’utiliser un véhicule réduit considérablement l’accès aux services dans nos zones rurales. Cette anecdote démontre bien la nécessaire dualité des approches entre l’urbain et le rural.
Et sur le plan énergétique ?
B.L. > Le SIEL-TE a acquis depuis plus de 20 ans une expertise dans le déploiement des énergies renouvelables sous forme délocalisée. Il a pu mettre en place une cinquantaine de réseaux de chaleur bois-énergie pour le compte des collectivités ligériennes. En qualité de maître d’ouvrage, notre syndicat a également financé 120 générateurs solaires photovoltaïques, en toitures d’écoles, de mairies, de salles de fêtes… et dernièrement sous forme d’ombrières. L’ensemble de ces installations bénéficie d’une gestion à distance ainsi que des remontées d’informations via les objets connectés. Cependant, ces équipements ne sont que la partie émergée de l’action du SIEL-TE pour la transition énergétique. Les experts énergie du syndicat suivent plus de 2 500 bâtiments publics. Ils préconisent des solutions techniques pour l’enveloppe du bâtiment, l’éclairage intérieur et la performance des équipements de chauffage ou de ventilation. En outre, le SIEL-TE apporte des aides financières aux collectivités engagées dans la rénovation énergétique. Vous l’aurez compris : en jouant sur ces différents tableaux, nous disposons d’un important champ d’activité pour tester différentes solutions.
D’autres services aux citoyens ne manquent-ils pas dans les zones rurales ?
B.L. > Aujourd’hui, oui, en effet. Mais il n’est pas si compliqué de faire évoluer la situation à moyen terme. Confronté à cette problématique de manque de services à l’échelle locale, j’ai cherché à trouver des solutions dans ma commune, Châteauneuf. J’ai choisi de commencer par les services énergétiques, en m’appuyant sur les expertises du SIEL-Territoire d’énergie, dont je suis le Président. Ma réflexion s’est notamment attachée à la question de l’autoconsommation d’énergies renouvelables et du stockage de l’énergie. En tant que maire, j’ai proposé que le château, propriété de la ville servant actuellement de pépinière d’entreprises, devienne un démonstrateur grandeur nature pour tester l’autoconsommation d’énergie photovoltaïque et de micro-éolien.
[ Quésako ] L’auto-consommation ?
Et si l’on consommait uniquement l’énergie que l’on produit à domicile grâce à des panneaux solaires ou des petites éoliennes ? C’est le principe de l’autoconsommation, qui fait de plus en plus d’adeptes, parmi ceux qui souhaitent faire des économies et qui sont sensibles aux questions d’écologie. Aujourd’hui, plus de 30 000 foyers autoproduisent leur énergie en France. Ils pourraient être 600 000 dès 2023 et 4 millions en 2030. En 2019 déjà, près de 90 % des demandes de raccordement de production d’électricité ont concerné des projets d’autoconsommation. C’est d’autant plus facile aujourd’hui que le dispositif est désormais encadré juridiquement (loi de la transition énergétique de juillet 2016 ; décret du 28 avril 2017 pour l’autoconsommation collective.
Racontez nous.
B.L. > Les projets de production d’énergies renouvelables fleurissent partout en France et c’est une bonne chose. Mais nous n’allions pas lancer la énième expérimentation dans ce sens. Nous voulions aller plus loin à Châteauneuf, avec le projet ILOT@GE (Initiative LOcal pour la Transitions En@GEtique). Les énergies renouvelables ont le défaut d’être intermittentes. Leur disponibilité est en effet variable, sans possibilité de contrôle. Le stockage devient donc indispensable pour utiliser l’électricité quand l’on en a besoin et exploiter les avantages des énergies solaire et éolienne, sans les inconvénients. Dès 2016, nous avons donc décidé de réaliser un démonstrateur en conditions réelles, dont l’objectif est de produire de l’hydrogène, à partir d’électricité fournie par une centrale photovoltaïque sur les toits du château de la ville et des arbres à vent (des éoliennes urbaines) dans le Parc du Mollard qui l’entoure. Cet hydrogène permet ainsi de stocker l’énergie non consommée au moment où le soleil brille et où le vent souffle, et facilite sa réutilisation pour le chauffage, la production d’électricité via une pile à combustible, et aussi pour… la mobilité ou l’alimentation de dispositifs techniques utilisant l’hydrogène comme carburant. Une station à hydrogène a en effet été installée à cet effet. Par ailleurs, le déstockage nocturne de l’hydrogène permet d’alimenter l’éclairage public du parc en courant continu à partir d’une pile à hydrogène. Ajoutons que pour s’adapter aux besoins de consommations du château et du parc, les systèmes de production, de distribution, de consommation et de stockage de l’énergie sont tous interconnectés et que tout est sur la surveillance de capteurs qui testent le modèle. Avec ILOT@GE, nous disposons donc d’une plateforme technologique intégrant l’ensemble de la chaine de la valeur des EnR de la production à la consommation, avec un objectif de reproductibilité. Le financement a été réalisé par la commune avec les subventions de l’Etat, de la Région Auvergne Rhône-Alpes, du Département de la Loire et de Saint-Etienne Métropole. La municipalité va désormais récupérer son investissement à l’aide des économies d’énergie réalisées, puisque le projet est opérationnel depuis l’été dernier.
Est-ce la seule expérimentation lancée par Châteauneuf ?
B.L. > La commune profite de chacun de ses chantiers pour tester des solutions innovantes. Nous avons en projet la construction de deux bâtiments, l’un dédié à l’accueil d’une micro-crèche l’autre, à des logements. Dans le cadre de cette nouvelle opération baptisée Immob@is, nous avons différentes ambitions, en phase avec les voies de transformation décrites par le Fonds MAJ.
La première est environnementale. Les deux bâtiments seront construits en bois (ossature bois pour la crèche, bois massif à gradient d’épaisseur pour les logements) et recouverts par des terrasses végétalisées pour favoriser la rétention des eaux pluviales et optimiser l’isolation, avec l’objectif d’obtenir le label environnemental E+/C- et le label Propassif, gage d’excellence énergétique et écologique dans un bâtiment confortable. Les immeubles seront instrumentés à l’aide d’une fibre optique pour suivre l’évolution des structures et qualifier le confort thermique.
La seconde ambition est énergétique. La production d’électricité est assurée par des panneaux photovoltaïques installés sur les toits ou sur ombrières de parkings. De même, la géothermie profonde sera utilisée pour les compléments nécessaires à la crèche. Nous avons également opté pour un modèle d’autoconsommation, géré individuellement par chaque locataire. Nous aurons la possibilité d’alimenter les locaux avec du courant mixte, alternatif ou continu selon les équipements. Cela dit, nous sommes actuellement un peu en avance, sachant que ces équipements ne sont pas forcément disponibles sur le marché. Nous sommes face à un paradoxe quand l’on sait que les panneaux photovoltaïques fournissent du courant continu et que, de l’autre côté, LED pour l’éclairage fonctionne également en courant continu ! Et il en est de même pour les systèmes de production chaud/froid.
Troisièmement, nous ambitionnons de favoriser la mixité entre les générations. L’un des immeubles a été conçu pour accueillir une micro-crèche. Le second bâtiment va loger des séniors valides et des jeunes adultes. Il comptera aussi un espace commun à tous, des locaux pour des professionnels médicaux et paramédicaux, sans oublier une cabine de télé-médecine. Nous avons prévu en plus de doter l’immeuble d’une colonne vertébrale numérique et de pré-équiper les logements pour que les jeunes séniors puissent bénéficier de tous les objets connectés nécessaires à leur autonomie..
A notre petite échelle, notre expérience démontre que les voies de transformation imaginées par le Fonds MAJ sont réalisables, dans un budget raisonnable et en demandant finalement peu de changement dans nos habitudes. Si une petite commune de 1 600 habitants a réussi, pourquoi pas toutes les villes de France ?
[ L’expert ] Bernard Laget, maire à l’avant-garde des territoires connectés en zone rurale
Maire de Châteauneuf dans la Loire (42), Bernard Laget a déjà vécu plusieurs vies. Docteur en mathématiques, professeur des Universités, il a été vice-président de l’Université Jean Monnet à Saint-Etienne. Il a créé l’Institut des Sciences de la Vision et est à l’origine d’une des premières filières de formation par voie d’apprentissage au niveau Bac+5 dans l’Ingénierie de la Vision. En 2000, il devient Directeur de l’Ecole Nationale d’Ingénieurs de Saint-Etienne (ENISE).
Parallèlement, Bernard Laget s’est engagé dans la vie publique locale, d’abord à Châteauneuf, dont il est maire depuis 20 ans, jusqu’à la Vice-Présidence de Saint-Etienne Métropole, en charge de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche, l’Innovation et de l’Entreprenariat.
Aujourd’hui, Bernard Laget est Président du SIEL-Territoire d’énergie, très dynamique sur les sujets de l’aménagement numérique et de a transition énergétique du territoire. En 2020, le syndicat a achevé la construction du premier réseau de fibre optique de France, desservant 274 communes jusque chez l’habitant. Dans la continuité, il s’engage pour le développement des objets connectés à destination des collectivités. Les enjeux du territoire numérique, notamment rural, constituent un axe majeur du SIEL-Territoire d’énergie.
Crédits photos : © Mairie de Chateauneuf, © XXL Atelier, © Bernard Laget.