En France, 5 % des patients génèrent 50 % des coûts des soins de santé. Pour Enguerrand Habran, Ambassadeur du Fonds MAJ et Directeur du Fonds « Recherche & Innovation » de la Fédération Hospitalière de France, cette situation est le résultat d’un système de santé essentiellement curatif, qu’il convient de faire évoluer vers un système axé sur la prévention, capable de mieux prendre soin des populations sur les territoires. État des lieux, expérimentations, solutions et retours d’expériences par Enguerrand Habran.
Comment se porte le système de santé en 2020 ?
Enguerrand Habran > Alors que le système de santé en France est de bonne qualité, on peut néanmoins regretter que le curatif l’emporte sur le préventif. Certes, des informations sont affichées sur les paquets de cigarettes, les bouteilles de vin et de spiritueux, ou les emballages d’aliments pour alerter sur les dégâts du tabac, les nuisances de l’alcool, les bienfaits des cinq fruits et légumes par jour ou les nutriscores A, B, C, D et E. Mais la prévention serait bien plus efficace si une formation était réellement organisée pour aider chaque personne à maîtriser son état de santé.
Ce type de formation existe-t-il ?
E.H. > Pour les patients chroniques, on s’en rapproche. Ceux-ci bénéficient d’une éducation thérapeutique, pour leur permettre de mieux gérer leur maladie, mais aussi pour empêcher que leur affection s’aggrave et qu’ils développent des polypathologies. Idéalement, il faudrait même aller plus loin et engager une formation à la santé pour tous. Cela, dès le plus jeune âge en diffusant des informations et en éduquant sur l’alimentation, l’hygiène de vie et l’environnement, qui sont les premiers facteurs de risque sur la santé, en dehors des maladies génétiques. On évite ainsi les maladies graves, qui entament lourdement les coûts de santé, et leur impact social. Effectivement, il n’est pas rare qu’un malade du cancer subisse la double peine de l’affection et du chômage.
Cette approche, renforcée avec l’apport d’outils numériques de suivi, entre en résonnance avec les préconisations du Fonds MAJ, sur les bénéfices nombreux de la prévention sur la santé des citoyens et les gisements d’économie à réaliser pour le système de santé.
Comment la prévention pourrait-elle s’organiser ?
E.H. > Il faudrait que tout l’écosystème sanitaire, médico-social et social travaille en commun, pour apporter des réponses aux problématiques de santé d’un territoire au bénéfice des patients et de la population. Dans cette voie, le concept de « Responsabilité populationnelle » se développe, fondé sur le rôle que chacun peut jouer dans la prise en charge des malades et des populations. On passe ainsi d’une situation où chacun travaille dans son coin, à celle où tous les acteurs de santé et de la société collaborent ensemble.
Explication : imaginons que les malades du diabète soient plus nombreux sur une zone géographique qu’ailleurs. Pour comprendre cette situation, la démarche de « Responsabilité populationnelle » vise à regarder à la loupe les facteurs de risque dans la population. Admettons que le pourcentage de personnes en surpoids soit aussi particulièrement important sur ce territoire. Dans le cadre de cet exemple, la Région peut mettre en place un service dédié au traitement de l’obésité et à l’éducation alimentaire. En France, une expérimentation de « Responsabilité populationnelle » est justement en cours de déploiement sur les territoires de l’Aude, de la Cornouaille, des Deux-Sèvres, du Douaisis, de la Haute-Saône et du Sézannais. 1,5 millions de Français sont concernés par cette étude. Ces territoires travaillent actuellement sur la définition des parcours cliniques, pour ensuite explorer la digitalisation de leur système de santé.
Des actions sont déjà lancées, comme dans la région de Douai où la plupart des malades sont des personnes en situation de précarité. L’hôpital a donc pris la décision d’envoyer des infirmiers dans les centres sociaux de quartiers, pour vérifier si les personnes sont bien suivies par un médecin généraliste. Le cas échéant, les infirmiers les dirigent vers un généraliste et prennent même les rendez-vous, pour ramener ces personnes dans le système de santé. Cet exemple illustre la collaboration entre médecine hospitalière et médecine de ville, dans un objectif de prévention.
[ Quésako ] La responsabilisation populationnelle.
Le concept de Responsabilité populationnelle vise à atteindre un triple objectif : une meilleure prise en charge pour le patient, une meilleure santé pour la population, au meilleur coût pour la société. Cette approche a fait la preuve de son efficacité depuis 2004, au Québec notamment.
Concrètement, pour les offreurs de soins, il ne s’agit plus d’attendre que les malades viennent à eux pour résoudre un problème de santé ponctuel, mais de s’associer en amont avec d’autres parties prenantes, pour analyser les besoins de santé de la population locale (diabète, perte d’autonomie…), pour définir des modes d’actions (la télémédecine par exemple) s’appuyant sur le territoire et pour fixer des priorités. Il convient donc d’abord d’identifier des personnes au sein de la population d’un territoire, par type de pathologie, par risque de santé, ou par catégorie socio-professionnelle (les jeunes, les personnes défavorisées…) qui peuvent développer des risques spécifiques.
L’offreur de soins devient ainsi un gestionnaire de la santé des populations vivant sur son territoire, apportant, avec l’ensemble des acteurs de l’écosystème de santé, une approche globale en matière de prévention et de soins.
Et le patient, a-t-il un rôle à jouer ?
E.H. > Oui, évidemment. Lui aussi a sa part de responsabilité à prendre. C’est même indispensable, quand on pense qu’un malade chronique passe en moyenne une cinquantaine d’heures avec des médecins, infirmiers, kinésithérapeutes… chaque année, mais qu’il passe plus de 6 250 heures à s’occuper de sa maladie. Son premier professionnel de santé, c’est donc lui-même ! C’est ce qui a conduit à concevoir le dispositif des « patients partenaires », une nouvelle fois à Montréal. Dans les faits, le dispositif fonctionne dans les deux sens, de l’offreur de soin au patient et inversement. Un médecin par exemple va apprendre à un patient les détails de sa maladie et des traitements, tandis que le patient va décrire au professionnel de santé sa vie au quotidien avec son affection, dans ses conditions sociales et familiales précises. Les actions préventives, la prise en charge de la maladie et le choix des traitements vont ainsi pouvoir s’améliorer.
Comment imaginez-vous le système de santé de demain ?
E.H. > Des exemples de systèmes de santé performants, tels que je les imagine pour le futur, existent déjà. Notamment aux États-Unis, où le modèle de couverture maladie cristallise pourtant les critiques. Citons l’exemple de Geisinger en Pennsylvanie, qui offre des services de santé comme nulle part ailleurs, celui du consortium de soins intégrés Kaiser Permanente, en Californie, ou encore celui d’Inter Mountain dans l’Utah, qui en plus a permis de réaliser 3 milliards de dollars de bénéfice ! Tous ces systèmes présentent des résultats exceptionnels, en matière de santé globale, d’expérience patient et de profits financiers. Ils ont en commun le fait d’exploiter l’approche de « responsabilité populationnelle » que j’ai décrite précédemment. Si l’on y ajoute le dispositif de « patient partenaire », on améliore la responsabilisation de l’ensemble de la chaîne de santé, qu’ils soient offreurs de soins, sur le pilotage de la santé de la population, ou patients, sur la gestion de la maladie. Forcément le système de santé s’en trouve renforcé.
Dans l’avenir, la transition numérique de l’hôpital complètera cette transformation du système de santé, pour faciliter la coordination entre les personnels de santé, sécuriser l’analyse des images médicales par un œil virtuel doublé du sens critique humain, passer au crible informatique les ordonnances afin d’éviter les interactions médicamenteuses, ou encore piloter le parcours patient pour que sa santé s‘inscrive dans un continuum, de la prévention à la guérison. Le numérique ne manque pas d’atouts que de nombreuses initiatives exploitent efficacement. Ainsi, l’AP-HP et l’Institut Mines-Télécom ont créé ensemble une chaire universitaire sur les blocs opératoires augmentés, pour rapprocher la gestion des risques en chirurgie de celle des pilotes de ligne. En mêlant sciences humaines et nouvelles technologies numériques, le projet accède à une double approche qui transforme les pratiques opératoires, et diminue les risques d’accident. Il est donc nécessaire d’engager cette transition digitale, mais aussi de l’accompagner. Précisément, c’est ce que nous avons entrepris. Le Fonds Recherche & Innovation de la FHF a lancé une étude afin d’accompagner au mieux l’écosystème de santé dans leur évolution digitale et organisationnelle. Pas moins de 3 000 tâches hospitalières ont ainsi été référencées et analysées à partir d’entretiens avec 241 métiers différents à l’hôpital, pour mesurer l’impact des technologies sur leurs pratiques et leurs organisations.
Voici donc comment j’imagine le système de santé de demain plus préventif, plus efficace, plus systémique, plus collaboratif, plus responsable, plus profitable, et plus digital… plus modulaire et proche des citoyens aussi. Intégré à la ville, il sera capable de projeter son action partout sur les territoires et auprès de chaque citoyen.
[ L’expert ] Enguerrand Habran : les atouts d’une vision systémique sur la santé !
Enguerrand Habran est directeur du Fonds FHF « Recherche & Innovation ». Ce fonds, créé par la Fédération Hospitalière de France, a pour mission de promouvoir, de conduire et d’accompagner l’innovation en santé.
Ingénieur en biotechnologie, formé dans le cadre d’une approche systémique du vivant, il a aussi intégré le conseil scientifique de l’Institut Mines-Télécom, 1er groupe d’écoles d’ingénieurs et de management en France : l’opportunité d’acquérir une vision systémique globale.
Auparavant, Enguerrand Habran a travaillé dans le domaine des biotechnologies et plus spécifiquement en biologie systémique et en ingénierie génétique. Par la suite, de 2010 à 2015, il cofonde et dirige la société Catalyser dans le domaine de l’intelligence artificielle. Puis en 2014, il créé l’association What Health, afin de faire émerger et d’accompagner l’innovation dans le domaine de l’e-santé. Ce think tank est partenaire de plusieurs fédérations hospitalières et centres de recherche, d’écoles d’ingénieurs et d’universités. Il la préside jusqu’en février 2016, période à laquelle il rejoint le Fonds FHF.
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